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Après, il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens pas. Je crois que Vivian Kaplan fit une halte pour m’apprendre que Sadassa Aramchek avait été exécutée, comme Nicholas, mais je n’en suis pas sûr ; si tel fut le cas, je le refoulai, l’oubliai et ignorai que cela avait eu lieu. Mais parfois, au cours des dernières nuits, je me suis réveillé pour voir un APA debout braquant un revolver sur une silhouette de petite taille, et dans ces instants de lucidité j’ai su qu’elle était morte, qu’on me l’avait dit et que je ne m’en souvenais pas.
Pourquoi aurai-je voulu me rappeler ça ? Pourquoi aurais-je voulu le savoir ? Assez, c’est assez, comme je dis parfois, en guise de cri de misère, pour avoir pénétré dans des régions où ce que l’on exigeait de moi excédait mes facultés de résistance – et celle-ci en était une. J’avais supporté la mort de mon ami Nicholas Brady, que j’avais connu et aimé durant la majeure partie de mon existence, mais je n’arrivais pas à me faire à la mort d’une fille que je ne connaissais même pas.
L’esprit est une chose bizarre, mais il a ses raisons. L’esprit discerne en un seul coup d’œil la vie qui n’a pas été vécue, les espoirs qui n’ont pas été récompensés, le vide et le silence là où il aurait dû y avoir du bruit et de l’amour… Nicholas et moi avions vécu longtemps et fait un tas de choses, mais Sadassa Aramchek avait été sacrifiée avant de se voir octroyer la moindre chance, la moindre occasion de vivre et de changer. Ils avaient pris une partie de la vie de Nicholas et une partie de la mienne, mais ils avaient volé la totalité de la sienne. C’était à moi maintenant d’oublier que je l’avais rencontrée, de me rappeler que j’avais répondu non au lieu de oui à Vivian Kaplan lorsqu’elle m’avait demandé si j’avais discuté avec Sadassa ; mon esprit avait la lourde tâche de réaménager la réalité passée pour que je puisse aller de l’avant, et il ne faisait pas du bon boulot.
Plus tard dans le mois, on me tira de ma cellule pour me conduire devant un magistrat, et l’on me demanda ce que je plaidais face à quinze chefs d’accusation de trahison. J’avais un avocat désigné par la cour, qui me conseilla de plaider coupable.
« Innocent », déclarai-je.
Le procès ne dura que deux jours. Ils disposaient d’enregistrements rangés dans de grosses boîtes, certains authentiques, la plupart fabriqués. Je restai assis sans protester, songeant au printemps et à la lente pousse des arbres, comme l’avait dit Spinoza : la plus belle chose sur terre. À la fin du procès, je fus déclaré coupable et condamné à quinze ans de réclusion sans possibilité de mise en liberté surveillée. Ce qui signifiait qu’on ne me relâcherait qu’un bon bout de temps après ma mort.
On me donna le choix entre l’incarcération en régime cellulaire et ce qu’ils appelaient « la thérapie par le travail ». La thérapie par le travail consistait à se joindre à une bande d’autres prisonniers politiques pour accomplir des tâches manuelles. Notre boulot spécifique était de raser des vieux immeubles dans les bas quartiers de Los Angeles. On nous payait trois cents par jour pour ça. Mais au moins nous restions à l’abri du soleil. J’optai pour cette solution ; c’était mieux que de rester enfermé comme un animal.
Tout en travaillant à dégager des morceaux de béton fracassé, je me disais : Nicholas et Sadassa sont morts et immortels ; je ne suis pas mort et je ne voudrais pas être immortel. Je suis différent d’eux. Quand je mourrai ou me ferai tuer, rien d’éternel en moi ne continuera de vivre. On ne m’avait pas accordé le privilège d’entendre la voix de l’IA opératrice, cette voix dont Nicholas avait si souvent parlé, et qui avait tant signifié pour lui.
« Phil », m’interpella soudain une voix, brisant ma rêverie, « arrête de bosser et viens déjeuner ; nous avons une demi-heure. » C’était Léon, le copain qui travaillait à côté de moi, un ancien plombier que l’on avait arrêté pour avoir distribué un certain genre de prospectus polycopiés dont il était lui-même l’auteur, une sorte de rébellion d’un seul homme. Je le considérais comme plus courageux qu’aucun d’entre nous – un plombier travaillant tout seul dans sa cave avec une photocopieuse, sans voix divines pour lui fournir des instructions ou le guider, avec son seul cœur d’être humain.
Assis côte à côte, nous partageâmes les sandwiches qu’on nous avait donnés. Ils n’étaient pas mauvais.
« Tu étais écrivain », dit Léon, la bouche pleine de viande hachée à l’oignon, de pain et de moutarde.
« Ouais.
— Tu faisais partie d’Aramchek ? » demanda Léon en s’inclinant près de moi.
« Non.
— Tu sais des trucs dessus ?
— Deux de mes amis en faisaient partie.
— Ils sont morts ?
— Oui.
— Qu’est-ce qu’ils enseignent, à Aramchek ?
— Je ne sais pas ce qu’ils enseignent, dis-je. Je connais un peu leurs convictions.
— Raconte-moi, dit Léon en mangeant son sandwich.
— Ils croient que nous ne devrions pas nous vouer à des gouvernants humains. Qu’il y a un Père suprême dans les cieux, au-dessus des étoiles, qui nous guide. C’est à lui que nous devrions nous vouer, et à lui seul.
— Ce n’est pas une idée politique, fit Léon d’un air dégoûté. Je croyais qu’Aramchek était une organisation politique, subversive.
— C’en est une.
— Mais c’est une idée religieuse. C’est la base de la religion. Ça fait cinq mille ans qu’on en parle. »
Je dus reconnaître qu’il avait raison.
« Eh bien, fis-je, c’est ce qu’est Aramchek : une organisation conduite par le Suprême Père céleste.
— Tu penses que c’est vrai ? Tu y crois ?
— Oui.
— Tu es de quelle confession ?
— Aucune.
— Tu es un drôle de type, dit Léon. Est-ce que les gens d’Aramchek entendent ce Père suprême ?
— Ils l’ont entendu, dis-je. Ils l’entendront de nouveau, un jour.
— Tu l’as déjà entendu ?
— Non. J’aurais bien aimé.
— Le chef dit qu’ils sont subversifs. Qu’ils essaient de renverser Fremont. »
Je hochai la tête.
« C’est vrai.
— Je leur souhaite bonne chance, dit Léon. Je pourrais même avoir envie de tirer des tracts photocopiés pour eux. » D’une voix rauque et sur le ton de la confidence, il me murmura à l’oreille : « J’ai planqué des tracts à moi dans la cour derrière chez moi, là où j’habitais. Sous un gros massif de rhododendrons, dans une boîte à café. J’ai épousé la justice, la vérité et la liberté. »
Il me regarda.
« Ça t’intéresse ?
— Beaucoup, dis-je.
— Bien sûr, dit Léon, il faut d’abord sortir d’ici. C’est la partie difficile. Mais j’y réfléchis. Je trouverai une solution. Tu crois qu’Aramchek m’accepterait ?
— Oui, lui dis-je. Je crois que c’est déjà fait.
— Parce que je n’irai pas très loin, tout seul. J’ai besoin d’aide. Tu as dit que tu croyais qu’ils m’ont déjà accepté ? Je n’ai pourtant pas entendu de voix.
— Ta voix est cette voix, dis-je. Celle qu’ils ont entendue à travers les âges. Et qu’ils attendent de réentendre.
— Hé ! fit Léon, ravi. Pas mal. Personne ne m’a jamais dit ça. Merci. »
Nous mangeâmes tous deux en silence un moment.
« Est-ce que le fait de croire à ça, à un père céleste, les a menés quelque part ? demanda Léon.
— Pas dans ce monde, peut-être.
— Alors je vais te dire quelque chose que tu n’as peut-être pas envie d’entendre. Si tes amis d’Aramchek étaient là, je leur dirais la même chose. Ça ne vaut pas le coup, Phil. Il faut que ça se passe dans ce monde. » Léon hocha vigoureusement la tête, son visage buriné soudain empreint de dureté. De la dureté que confère l’expérience.
« Ils ont gagné l’immortalité, dis-je. On la leur a accordée, pour ce qu’ils ont fait, ou même ce qu’ils ont essayé de faire sans y parvenir. Ils existent encore en ce moment, mes amis. Ils existent pour toujours.
— Même si tu ne peux pas les voir.
— Oui, dis-je. Exact. »
Léon déclara :
« Il faut d’abord qu’il se passe quelque chose ici, Phil. L’autre monde ne suffit pas. »
Je ne trouvai rien à dire ; je me sentais brisé et faible, ayant épuisé tous mes arguments durant tout ce qui m’était arrivé. J’étais incapable de répondre.
« Parce que c’est ici qu’est la souffrance, poursuivit Léon. C’est ici que sont l’injustice et l’emprisonnement. Comme nous, comme nous deux. Nous en avons besoin ici. Maintenant. »
Je n’avais pas de réponse.
« C’est peut-être bien pour eux, dit Léon, mais… Et nous ?
— Je… » commençai-je. Il avait raison et je le savais.
« Je suis désolé, dit-il. Je vois bien que tu aimais tes deux amis et que tu les regrettes, et peut-être qu’ils sont en train de planer quelque part dans le ciel, voletant de-ci, de-là à l’état de purs esprits, heureux et tout. Mais ce n’est ni ton cas, ni le mien, ni celui de trois milliards d’autres personnes, et jusqu’à ce que les choses changent ici ça ne suffira pas, Phil ; ça ne suffira pas. Malgré le Suprême Père céleste. Il faut qu’il fasse quelque chose pour nous ici, et c’est la vérité. Si tu crois à la vérité… Enfin, c’est la vérité, Phil. La dure, la désagréable vérité. »
Je restai muet, assis, les yeux baissés.
« Qu’est-ce que c’est que cette histoire selon laquelle les gens d’Aramchek auraient un truc qui ressemble à un magnifique œuf en argent installé avec soin et très secrètement dans la tête de chacun d’entre eux ? Je peux même te dire par où il pénètre – il remonte le canal optique jusqu’au corps pinéal. Grâce à des radiations émises d’en haut durant l’équinoxe vernal. (Il gloussa.) La personne touchée a l’impression d’être enceinte, même si c’est un homme. »
Surpris qu’il sache cela, je dis :
« L’œuf éclot quand le porteur meurt. Il s’ouvre et devient une entité plasmatique vivante dans l’atmosphère, qui jamais…
— Je sais tout cela, coupa Léon. Et je sais que ce n’est pas vraiment un œuf ; c’est une métaphore. J’en sais plus long sur Aramchek que je ne l’ai reconnu. Tu vois, Phil, j’étais pasteur.
— Oh !
— Cette image du splendide œuf d’argent placé en chacun d’entre eux, et qui se développe, éclot et garantit l’immortalité – elle est dans la Bible, Phil. Jésus en parle plusieurs fois de différentes manières. Vois-tu, le Christ s’exprimait de façon à dérouter la multitude ; c’était censé n’être compréhensible que pour ses disciples. Ou plutôt, c’était compréhensible pour tout le monde, mais la véritable signification n’était connue que de ses disciples. Ils gardaient soigneusement le secret à cause des Romains. Le Christ lui-même craignait et détestait les Romains. Malgré leurs efforts, les Romains les tuèrent tous quand même, et la véritable signification se perdit. En fait, ils tuèrent le Christ… Mais tu connais ça, je suppose. Le secret est resté perdu presque deux mille ans. Mais il revient, maintenant. Les jeunes gens de maintenant, tu vois, ont des visions, et les vieux font des rêves.
— On ne parle pas d’œufs d’argent dans le Nouveau Testament, dis-je.
— La perle, fit Léon, emphatique La perle de grande valeur. Et le trésor qui est enfoui dans le champ. L’homme vend tout ce qu’il possède pour acheter le champ. La perle, le trésor, l’œuf, le levain qui fait monter les masses jusqu’à l’élévation complète – des mots de code pour dire ce qui est arrivé à tes deux amis. Et la graine de moutarde qui est si minuscule mais qui croît jusqu’à devenir un grand arbre sur lequel viennent se percher les oiseaux – les oiseaux, Phil, dans le ciel. Et dans Mathieu, la parabole du semeur qui part semer… certaines graines tombèrent au bord du chemin, certaines tombèrent sur des étendues de rocher, d’autres dans des buissons d’aubépine, mais écoute ceci : certaines tombèrent sur un sol riche et produisirent leur récolte. Dans tous les cas le Christ affirme que c’est ainsi qu’est le royaume, le royaume qui n’est pas de ce monde. »
J’étais intéressé.
« Dites-m’en plus, pasteur Léon », dis-je, à moitié par plaisanterie, à moitié par fascination.
« J’ai cessé d’être pasteur, dit Léon, parce que ça n’avait aucun sens. Mais je vais quand même te citer un dernier exemple où Jésus en parle. Tes amis qui sont morts, ils forment à présent une créature unique au lieu d’être séparés. Te l’ont-ils dit avant de mourir ?
— Oui. Nicholas m’avait parlé de leur future fusion en une forme de vie composite, de leur union à tous en Aramchek. De l’existence en commun qui allait venir.
— C’est dans Jean, chapitre douze, verset vingt-quatre. Le texte dit : “Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul” – lis “isolé” pour “seul” – “mais, s’il meurt, il donne lieu à une riche récolte” – lis “existence en commun” pour “riche récolte”. Et : “Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle.” Dans chaque cas, quelque chose de petit – un trésor, la plus petite des graines qu’est la graine de moutarde, le semeur semant sur un sol fertile, un grain de blé –, quelque chose est mis dans la terre, qui est un symbole secret des premiers chrétiens pour désigner la tête de l’homme, le cerveau, l’esprit, et y pousse jusqu’à ce qu’il éclose, ou germe, ou soit déterré, ou fasse monter toute la pâte, puis apporte la vie éternelle – le royaume que nul ne peut voir. C’est de cela que parlaient tes amis d’Aramchek, probablement sans le savoir, c’est ce qui leur est arrivé avant leur mort, et ce qui a conduit à leur état actuel, maintenant qu’ils sont morts.
— Il faut donc décoder toutes les paraboles du Christ ? demandai-je.
— Oui, dit le pasteur Léon. Le Christ déclare parler en paraboles pour que ceux de l’extérieur ne puissent pas comprendre. Mathieu, 13, 12.
— Et tu sais que ce qu’il a dit est vrai.
— Oui. »
Ébahi, sans comprendre, je dis :
« Et pourtant tu dis encore…
— Je dis encore qu’il ne suffit pas de haïr ce monde et d’oublier ce monde. C’est ici que le travail doit être fait. Laisse-moi te poser une question. » Il me fixa intensément de ses yeux très vieux mais clairs. « Où le Seigneur a-t-il délivré son enseignement ? Où a-t-il accompli son œuvre ?
— Ici, dans ce monde, répondis-je.
— Tu vois bien. (Léon retourna à son sandwich.) Ces sandwiches rassissent de jour en jour, grommela-t-il. Nous devrions nous plaindre. Ces dames en rouge, blanc, bleu ne devraient pas s’en tirer en exagérant comme ça ; elles deviennent paresseuses. »
J’avais fini de manger, et je sortis mon unique cigarette pour l’allumer en faisant attention.
« Je peux en avoir la moitié ? » demanda Léon.
Je coupai la cigarette en deux et en donnai un bout à mon ami. Le seul ami que j’avais, maintenant que les autres avaient disparu. Au vieil ex-pasteur qui m’avait montré, de si irrésistible manière, que tout ce que nous avions fait, Nicholas, moi et Sadassa Silvia, n’avait aucun sens. À l’homme qui, comme s’il s’exprimait pour SIVA en personne, m’avait apporté la vérité.
« Quel genre de truc tu écrivais ? me demanda Léon.
— J’écris toujours », dis-je pour plaisanter. Les contrefaçons gouvernementales de mes œuvres commençaient déjà à paraître. Ils mettaient un point d’honneur – sans doute Vivian mettait-elle un point d’honneur – à m’envoyer un exemplaire de chaque.
« Comment tu t’y prends ?
— C’est facile quand on a la méthode », dis-je.
Léon se pencha en avant et me poussa du coude.
« Regarde. Il y a des gamins qui nous observent. » En effet, de l’autre côté de l’enceinte de grillage rouillé à l’intérieur de laquelle nous travaillions, un groupe d’écoliers nous regardait avec un mélange de fascination et de peur. « Hé, les enfants ! leur cria Léon. Ne finissez jamais comme nous. Faites tout ce qu’on vous dira, vous entendez ? »
Les gosses continuèrent de regarder.
L’un d’entre eux, un garçon plus âgé, avait un transistor portatif ; Léon et moi distinguions le rock éraillé que beuglait son minuscule haut-parleur. Le présentateur, un DJ de la région de Los Angeles, jacassait à jet continu d’une voix excitée sur le morceau suivant, le dernier disque sorti, disait-il, et déjà une bombe dans les hit-parades, du groupe de rock Alexander Hamilton, les artistes de San Francisco qui étaient numéro un ces derniers temps.
« O.K., on y va ! » brailla le speaker, alors que la bande de gosses nous observait et que nous leur rendions timidement leurs regards. « Voici Alexander Hamilton et Grace Dandridge dans Tous aux parties ! Très bien, Gracie, on vous écoute ! » La musique s’éleva et, assis avec mon sandwich, voûté et las, j’entendis les paroles flotter vers nous dans l’air de la mi-journée imprégné de brouillard et de fumée :
Tout l’monde est présent,
Hey, hey.
Tout l’monde est présent,
Les gens disent.
Tout l’monde est président aux
PARTIES D’ENFER.
Vous tous qu’êtes là,
Éclatez-vous bien.
Léon se tourna pour me regarder d’un air dégoûté.
« Ça y est ! m’écriai-je.
— Quoi ? fit Léon.
— Il, ils ont trouvé une autre maison de disques pour le sortir. Et c’est déjà diffusé, c’est déjà un tube. Dans ce cas… » Je fis le calcul, d’après ce que je savais de l’industrie du disque. Ça a dû se passer pratiquement à la même époque, pris-je conscience. Pendant que Progressive préparait sa bande, une autre compagnie, un autre groupe, d’autres membres d’Aramchek, guidés par le satellite, en préparaient une autre.
Les efforts de Nicholas avaient servi de diversion. Ces efforts s’étaient inscrits dans un plan qu’aucun d’entre nous n’avait discerné ou compris. Pendant qu’ils le tuaient, lui et Sadassa, et qu’ils me mettaient en prison, les Alexander Hamilton, le groupe rock le plus en vogue du pays, enregistraient le matériel chez Arcane Records. Progressive n’avait personne qui arrivât à la cheville des Alexander Hamilton à son catalogue.
Soudain, la musique s’interrompit. Un silence absolu tomba. Puis un autre morceau commença, instrumental celui-ci ; de toute évidence, la première chose qu’on avait trouvée à la station.
Une erreur, me dis-je. Le DJ n’était pas censé diffuser Tous aux parties ! Il avait oublié ses instructions – ce que les autorités lui avaient dit. Mais les disques avaient été pressés, pressés et distribués, et certains d’entre eux – pour quelque temps, du moins – étaient joués. Le gouvernement avait agi contre Arcane Records trop tard.
« Tu as entendu ça ? demandai-je à Léon.
— Ces âneries ? Je n’écoute jamais la radio. Chez moi, avant qu’ils ne m’arrêtent, j’avais une grosse chaîne quadriphonique, qui valait peut-être trois mille dollars. Ces trucs-là, c’est pour les gosses – ils aiment ça. »
Les enfants continuaient de nous regarder. De regarder les deux prisonniers politiques, des vieux à leurs yeux, abîmés, sales et vaincus, qui prenaient leur déjeuner, en silence maintenant. Le transistor continuait à jouer. Plus fort, même. Et, dans le vent, je pouvais en entendre d’autres qui, partout, étaient mis en marche. Par les enfants, songeai-je. Les enfants.
Fin du Prélude
[1] Reserve officers Training Corps ; correspond approximativement à la préparation militaire supérieure (PMS) en France (N.d.T.).
[2] Je respecte ici la traduction de Robert Louit dans SIVA, qui a le mérite de constituer un acronyme intéressant ; le texte porte en fait « Valisystem A », qui annonce « VALIS », devenu SIVA. « VALIS » pourrait être littéralement traduit par « Système Intelligent Vivant, Vaste et Actif », soit SIVVA (N.d.T.).
[3] to check : vérifier, contrôler (entre autres). D’où le jeu de mots sur Aramchek. « Aram-check » (N.d.T.).
[4] Mission Fuck-up dans le texte. To fuck up : foutre le bordel (N.d.T.).
[5] Là encore, le texte porte Valisystem A, titre originel du roman (N.d.T.).
[6] Ce sigle désigne l’acide gamma-aminobutyrique, qui inhibe certaines structures du système nerveux central (N.d.T.).
[7] Le succotash est un plat de la tribu des Indiens algonquins composé d’un mélange de haricots rouges, de haricots verts et de maïs vert (N.d.T.).
[8] Cette traduction inélégante tente de rendre compte du double sens du terme party. L’expression join the party signifie à la fois « venir à la fête » et « adhérer au parti ». John Lennon avait utilisé un procédé semblable dans sa chanson Come together, écrite pour soutenir le pape du L.S.D., Timothy Leary, dans sa campagne électorale en Californie (N.d.T.).